Dissociation traumatique,  Inceste fraternel,  Victime/surivant.e

Témoignage #8

J’ai été abusée sexuellement par mon grand frère quand j’étais jeune. Et je n’ai jamais rien dit. 

Au début, je n’en ai pas parlé parce que je pensais que c’était normal, que tous les frères et sœurs passaient par cette phase de « découverte du corps », c’était ce qu’il me disait, et je le croyais. Enfant, j’ai toujours adulé mon frère. Malgré les 3 petites années qui nous séparent, je l’ai toujours considéré comme la figure d’autorité, ayant des parents séparés, un père détaché de tout, et une mère dans le déni.

La deuxième phase du processus a été le déni et la colère. Je ne me souviens pas du moment où j’ai commencé à exclure mon frère de ma vie, je ne voulais plus le voir, et à chaque fois que j’avais à faire à lui, je m’arrangeais pour qu’on ait le moins de contact possible. Notre relation était chaotique, elle oscillait entre prises de tête, violences physiques et insultes car, évidemment, je ne pouvais pas l’empêcher de rentrer dans une maison qui n’était pas la mienne. Au cours d’une de ces nombreuses disputes, il m’a dit « tu me détestes parce qu’il s’est passé des choses quand on était petits ». Et c’est à ce moment-là que je l’ai détesté encore plus, il semblait fier de ses actes. Il ne regrettait pas une seule seconde d’avoir abusé de moi. Il avait fait ressortir cette partie de moi que j’essayais à tout prix de garder enfouie. J’étais très en colère, je n’en parlais pas et même si j’avais pu en parler à mes parents, je ne l’aurais pas fait puisque ma relation avec eux n’était que le reflet de mon état d’esprit : détruit. J’étais seule contre tous. 

La troisième et dernière phase du processus a été le dégoût et la honte. J’avais honte d’avoir subi ça. Je me sentais faible et j’avais envie de repartir en arrière pour tout changer. Cet acte d’inceste, même si je ne l’avais pas encore qualifié comme tel, remettait ma vie en question. J’avais une dépendance affective invivable, j’avais toujours besoin de recevoir de l’amour, d’être entourée de mes amis, j’avais peur d’être abandonnée. Au-delà de ça, j’étais colérique, je ne m’entendais toujours pas avec mes parents, je leur en voulais terriblement. Ils n’avaient pas été présents pour moi, ils m’avaient laissée, n’avaient rien vu ou alors avaient fermé les yeux. 

J’ai eu l’opportunité de m’éloigner de tout ça, de reconstruire ma vie ailleurs, et ça a été la meilleure décision de ma vie. Je parvenais à panser mes blessures, la plaie se refermait petit à petit même si l’infection était toujours là. Mon secret toujours enfoui au plus profond de ma tête, j’ai pu m’entourer de personnes bienveillantes, j’ai eu des relations sentimentales qui m’ont été bénéfiques et qui m’ont fait regarder dans le futur plutôt que dans le passé. J’ai eu l’impression d’être guérie, je m’entendais mieux avec mes parents. Eux-mêmes étaient plus apaisés, ils semblaient vouloir repartir du bon pied avec moi. Ma relation avec mon frère était passée de la colère à l’ignorance. 

J’ai essayé de ne plus lui en vouloir, de me dire que les événements que nous avions vécus avaient influencé ses actes. Finalement, lui aussi n’était-il pas une victime ? J’ai réussi à être heureuse, à m’épanouir, mais cette vie était ponctuée d’insomnies, de terreurs nocturnes, de crises de colère. C’était toujours enfoui au fond de moi, et ça me faisait mal. 

Le lundi 13 avril 2020 j’ai reçu un sms de ma mère qui me disait « Je m’excuse auprès de toi pour tout ce que tu as subit et que je n’ai pas vu, pour toute la protection et l’attention que je ne t’ai pas donné. » Mon frère lui avait tout déballé, il avait honte et n’en pouvait plus de vivre avec ça sur le cœur, il y « pensait tous les jours » (ce sont ses mots d’après ma mère). Il regrettait et voulait qu’on discute tous les deux pour améliorer notre relation et laisser définitivement cette période derrière nous. 

J’ai eu ma mère au téléphone, et j’ai été déçue. A la place du soutient que j’attendais, elle a voulu dédouaner mon frère en disant qu’elle et mon père étaient les seuls coupables, qu’un mineur abusant sexuellement d’une mineure n’était pas conscient, il subissait juste le laxisme de ses parents. Je n’ai que très peu de souvenirs de ces moments, seulement des flashs et pour moi cela ne s’était produit « qu’une seule fois » mais d’après mon frère c’était régulier, pendant des mois, des années. Elle m’a dit que c’était de l’histoire ancienne, et que la prochaine étape était le pardon. 

Je n’accepte pas d’avoir été humiliée et salie. Une partie de ma vie a été gâchée, et a fait de moi la personne que je suis aujourd’hui, cette personne que j’ai détestée longtemps, cette personne que je commençais à peine à aimer. J’arrivais tout juste à me dire que j’étais quelqu’un de bien, que j’étais courageuse et que j’avais réussi à passer au-dessus de ça. Et voilà que je me sens plus sale que jamais, je dégringole de 50 étages, et une partie de la carapace que j’avais construite s’est envolée avec ce sms. 

Même si j’avais supporté l’idée d’être victime, je ne sais même pas si j’aurai eu le droit de me considérer comme tel. Ce sont de simples « jeux d’enfants » qui ont ruinés 15 ans de ma vie et qui vont continuer à me hanter ?